La scarification (partie 3 sur 3)

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Voici la dernière partie consacrée à la scarification. Après avoir vu en première partie les origines et définitions de cette pratique, puis en deuxième partie en quoi cela touchait principalement les adolescents ; nous allons nous interroger sur : pourquoi, les ados ont-ils recours à la scarification et pourquoi il s’agit un nouveau symptôme du mal-être ?

La scarification, partie 3

Sans doute, et je suis d’accord avec ceux qui véhiculent cette idée, sans doute que, aujourd’hui, le corps est sacralisé, instrumentalisé aussi. On en a fait une machine. En plus, on le sculpte, on le transforme, on nie la vieillesse et la mort.

L’ado vient s’opposer à cette nouvelle religion, celle du corps donc.

Que fait l’ado qui se scarifie ? Il transgresse, et surtout interpelle l’adulte, mais sans lui dire. C’est un cri muet. Cette transgression est la seule voie possible, pour lui, pour rester vivant ; tout comme le suicide apparaît pour une personne en grande souffrance comme la seule voie possible pour ne plus souffrir.

L’ado qui se scarifie, comme la personne suicidaire, ne veut plus souffrir, mais il choisit la voie de la vie et non celle de la mort.

L’ado qui se scarifie devrait nous interpeller, oui. Nous devrions nous questionner sur le sens que notre culture donne à la vie, sur les valeurs que nous avons à défendre, sur lesquelles nous devons nous appuyer.

L’ado qui se scarifie mime la mort en quelque sorte. Il fait couler le sang. Que nous dit-il sur nous, sur notre société ? Peut-être que notre mode de vie, basé sur le matériel, le confort, la consommation, le rationnel, le pragmatique, n’est pas viable.

Et dans notre travail de parent, d’éducateur, de psychologue, de psychiatre, quelle posture adopter face à un ado qui se scarifie ?

Quand nous apprenons d’un adolescent ou d’une adolescente qu’il se scarifie, offrons-lui une écoute bienveillante, le non-jugement, l’absence d’effroi, et surtout n’oublions pas qu’il n’y a pas destruction, qu’il n’y a pas désir de mort mais désir de vivre.

Il ne s’agit que d’un symptôme, d’un symptôme bénin d’une souffrance bien plus grave, mais qui n’a rien de pathologique, qui ne relève donc pas de la maladie mentale.

N’y attachons pas plus d’importance que cette pratique mérite ; ce n’est effectivement qu’un symptôme, et il doit être traité comme tel. Il vaut mieux qu’un adolescent ou une adolescente s’entaille les avant-bras plutôt qu’il ou elle se jette d’un pont ou sous un train. Dramatiser la scarification, la « pathologiser » donc, l’empêcher par la force, la surveillance extrême, provoquera au minimum une culpabilité supplémentaire, au pire un déplacement du symptôme vers des voies bien plus dangereuses.

Après tout, l’ado qui se scarifie ne se livre-t-il pas à un rite d’initiation personnel (en l’absence de tout rite d’initiation collectif), et que, par cette pratique, il a le désir d’entrer de plain-pied dans sa vie d’adulte ?

Tout n’est peut-être qu’une question de degré de sensibilité, et non pas de maladie mentale.

Philippe ALBERT, Psychologue, Président de SOS SUICIDE PHÉNIX NICE

©Photo : David Cohen.